Compréhension des processus et représentation de soi

La quatrième et dernière thématique abordée dans le présent recueil porte sur les représentations de soi et sur la compréhension des processus qui ont mené à la rue. L'entrée par l'analyse des processus et des représentations sociales permet d'explorer de manière spécifique le point de vue des personnes concernées par l'itinérance et de mettre au jour des dimensions qui, jusque-là, étaient inexplorées.

Les deux premiers textes se concentrent sur l'évocation de certains processus sociaux associés à la rue. Le premier texte, celui de Mario Poirier, Olivier Chanteau, Francine Marcil et Jérôme Guay, part du constat que, depuis quelques années déjà, la vie itinérante prend aussi la figure de jeunes en errance, ceux qui se trouvent sans lieu d'appartenance, sans inscription sociale et sans véritable chez-soi. Ces auteurs insistent sur l'idée que les jeunes qui ont connu une instabilité résidentielle caractérisée par une succession de placements en institution sont handicapés dans leur capacité à se projeter et à se définir; l'expérience du placement pouvant être déterminante dans le passage à la vie adulte. Un séjour dans un établissement de prise en charge peut aussi se vivre comme une tension extrême entre

la responsabilité légale de protection des institutions et le désir d'autonomie des jeunes. Le placement devient alors synonyme de coercition et ramène les jeunes à un type d'expérience familiale qu'ils ont trop souvent connu. Pour plusieurs, la rue devient alors le lieu tout désigné pour vivre le passage à la vie adulte.

Le deuxième texte, celui de Paul Carie et Lalie Bélanger-Dion, part du constat que, si l'itinérance est généralement associée aux grands centres urbains, les régions ne sont désormais plus à l'abri de ce phénomène. Ces auteurs s'intéressent aux personnes qui ont recours à des formes précaires d'habitation dans une région du Québec: ressources d'hébergement, camping, ressources hôtelières, colocations contraintes, réduits ou garages. Se pose, dès lors, la question de la définition de l'itinérance. Même si les formes sous lesquelles elle apparaît sont spécifiques, elles évoquent des situations d'exclusion, de discrimination, de marginalisation, de précarisation de populations non initialement associées à l'itinérance. Cette réflexion, à partir des récits des acteurs, permet de saisir de nouveaux processus qui, dans leur aboutissement, peuvent ressembler à ce qui est déjà connu. Elle force cependant à revoir les conceptions et définitions traditionnellement associées à l'itinérance ainsi que les réponses jusque-là proposées.

Les deux derniers textes se concentrent sur les représentations de soi qui constituent, pour plusieurs chercheurs, une entrée pertinente pour saisir certaines dimensions de la vie itinérante. Le texte d'Yves Lecomte, Marie-Eve Lapointe, Guillaume Ouellet, Jean Caron, Christian Laval, Emmanuel Stip et Jean Gagné s'est intéressé aux représentations de soi quand on est une femme vivant à la rue. En s'inspirant d'un modèle expérientiel-développemental du soi, ces auteurs constatent que, même dans une situation extrêmement démunie, ces femmes déploient une diversité de stratégies de préservation de leur identité. Ces stratégies se différencient au regard des différentes étapes du modèle retenu. Ainsi, les femmes interviewées apportent une réponse aux contradictions sous-jacentes à leurs représentations, montrant ainsi un besoin de donner une cohérence et un sens à leur parcours dans l'itinérance. La théorie transactionnelle, celle de la satisfaction des besoins et celle de la dissonance cognitive sont utilisées par les auteurs pour expliquer le passage d'une étape à l'autre.

Enfin, Roch Hurtubise, Shirley Roy, Daphné Morin et Marielle Rozier discutent des représentations de la santé et de la maladie quand on vit à la rue. Souvent décrites du point de vue de leur grande vulnérabilité, les personnes en situation d'itinérance évoquent comment leurs conditions de vie ne permettent pas toujours de tenir la maladie à distance, la vie itinérante étant une vie à risque. Les pratiques en matière de santé peuvent être décrites sous quatre formes d'agir adaptées au contexte de l'instabilité

vécue: contraint, paralysé, bricolé, tactique. Ces pratiques constituent tout à la fois des modes de compréhension de la vie à la rue et d'action. Elles permettent d'interroger certains des présupposés de la santé publique à propos des personnes en situation d'itinérance, dont la faible appropriation de l'information préventive et l'absence de souci de soi. Ces représentations de la santé et de la maladie, une fois mises au jour, suggèrent une relecture de la situation globale des personnes en situation d'itinérance et des services qui leur sont offerts. La santé pouvant alors devenir un des mécanismes de réinscription de soi dans le monde.

 
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