LA RECONNAISSANCE DE LA PLACE SOCIALE DE CHACUN

Comme nous le disions plus haut, le dispositif rend volontairement visibles les rapports de positions qui existent entre les différents groupes d'acteurs. En attribuant, dans sa structure, une place aux groupes de jeunes de la rue, au même titre qu'aux autres groupes d'acteurs, soit les policiers, les intervenants ou les responsables institutionnels, le dispositif invite l'ensemble des acteurs à reconnaître formellement l'existence sociale de ces jeunes en tant qu'acteur collectif. Au sein de ce cadre, les jeunes ne sont donc plus simplement des clients, des bénéficiaires ou des usagers, ni des enfants, mais des sujets qui ont le droit de s'exprimer et de négocier démocratiquement leurs intérêts au même titre que les autres groupes de citoyens.

Révéler des relations de positions

C'est comme si, en formant les groupes d'acteurs et en les mettant en relation, le dispositif révélait une structure de relations qui existe dans la réalité de la rue, mais dont la représentation d'ensemble échappe souvent aux acteurs qui la composent. En effet, en aménageant le cadre ainsi, le dispositif joue un rôle de "contenant" pour les acteurs de ce complexe institutionnel, car il identifie, nomme, regroupe, organise les rôles respectifs des différents acteurs qui œuvrent dans le milieu de la rue, tout en régulant les relations de pouvoir. Cette façon de rendre visible l'intervention auprès des jeunes de la rue s'avère indispensable dans un milieu ouvert comme celui de la rue, où les relations de positions ne sont pas toujours clairement identifiées. Dans le milieu de la rue, chacun effectue sa part du travail sans être forcément obligé de prendre en compte le travail des autres, ce que Parazelli (1997, p. 511) a appelé la "taylorisation sociale de la responsabilité politique" de l'intervention auprès des jeunes de la rue. Mais cette "taylorisation" est aussi présente dans une institution fermée où, comme le souligne Mendel (1980, p. 247), la division du travail peut être extrême, amenant chaque individu à n'effectuer qu'une infime partie du travail de l'entreprise. Dans ce contexte, le défi consiste justement à reconnaître la place et l'effet de cette infime partie de travail sur le fonctionnement de l'institution dans son ensemble.

Comprendre sa place dans le milieu de la rue

Ainsi, non seulement le dispositif permet de révéler une certaine organisation de ce complexe institutionnel de la rue, mais, en plus, il permet aux participants de mieux comprendre la place qu'ils occupent au sein de ce milieu et qu'ils partagent avec d'autres acteurs qui ont le même acte de travail ou acte social qu'eux. Cette prise de conscience permet de donner un sens à la place qu'ils occupent au sein de ce complexe institutionnel, puisqu'elle leur permet de comprendre ce qu'ils font et pourquoi. Selon Mendel (1980, p. 241), cette prise de conscience est inséparable d'une prise de pouvoir sur leurs actes, étant donné qu'en comprenant ce qu'ils font les participants se rendent compte aussi qu'ils peuvent le modifier. C'est pourquoi il parle de "prise en conscience": "Aussi préférons-nous dire prise en conscience, et non simplement prise de conscience, dans la mesure où la conscience du réel et sa prise en charge sont, ici, inséparables."

Le fait même que tous les groupes acceptent d'échanger avec les autres groupes constitue une reconnaissance formelle de la place de ces autres groupes. Par exemple, que les autorités urbaines (policiers, élus) acceptent d'échanger avec les jeunes de la rue dans des conditions égalitaires, comme on le voit dans notre exemple de communications, est en soi une prise en compte de la place sociale de ces jeunes.

 
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