DES HISTOIRES DE CAS PERMETTANT D'ARTICULER LES CATÉGORIES CONSTRUITES ET L'INTERVENTION

La typologie construite par Bonin (2002) a été présentée aux membres de l'Équipe-Itinérance du CLSC des Faubourgs afin de vérifier si elle concordait avec sa perception de la clientèle. Il est apparu que, même si sa clientèle ne correspondait pas tout à fait aux données de l'enquête, du moins sur le plan des proportions, ces catégories s'avéraient assez représentatives des personnes qui fréquentent les ressources pour personnes itinérantes. Il nous est apparu intéressant de tenter de faire un lien entre les "clients types" et les interventions infirmières mises en place auprès d'eux. Dans un premier temps, l'infirmière a discuté avec les autres intervenants de l'Équipe-Itinérance afin d'obtenir quelques histoires de cas qui illustrent chacune des six catégories identifiées. Par la suite, un travail d'édition de ces histoires a été fait en amalgamant les caractéristiques de quelques individus en une seule histoire afin, d'une part, de préserver l'anonymat des personnes et, d'autre part, de permettre la description d'un ensemble d'interventions pertinentes dans un contexte large. Par exemple, le recours aux catégories de la typologie permet de voir comment l'infirmière peut intervenir pour maintenir les acquis et prévenir les rechutes possibles, et comment celle-ci travaille avec les autres professionnels qui interviennent auprès de cette clientèle. Cependant, le fait de déterminer des catégories types ne signifie nullement que l'on omet de considérer la personne comme un être unique avec ses façons de vivre ses problèmes liés à l'itinérance et aux effets qui en découlent. Ces types servent de base à une illustration de situations pour lesquelles on identifie des interventions appropriées. Les six types identifiés sont: femmes atteintes de troubles affectifs, hommes atteints de schizophrénie, hommes ex-dépressifs et ex-alcooliques, hommes ayant des troubles dépressifs actuels, hommes atteints de comorbidité, hommes ex-itinérants. Pour chacun des types, nous présenterons le contenu descriptif spécifique (résultant des agrégats), suivi des cas cliniques.

Les femmes atteintes de troubles affectifs

La recherche — Dans cet agrégat, les femmes ne souffrent pas de troubles de personnalité antisociale ni de troubles liés à l'alcool. Elles ont cependant présenté des troubles affectifs au cours de leur vie. Les femmes de ce groupe sont les plus âgées (moy.: 42 ans), elles disposent du réseau social le plus important des six catégories (moy.: 4,9 personnes) et utilisent les services plus souvent que le font les hommes.

La clinique - Nicole (nom fictif) est une femme de 45 ans qui présente des antécédents de trouble bipolaire. Depuis cinq ans, elle ne prend plus aucune médication car elle se sent moins bien sous l'effet du lithium. Lorsqu'elle présente des épisodes de manie, elle se retrouve épisodiquement dans la rue pour des périodes de quelques mois et vit ensuite un épisode psychotique. L'infirmière la rencontre dans les refuges pour femmes itinérantes lors des activités outreach de l'équipe. L'infirmière tente de créer des liens avec Nicole en répondant à ses demandes concernant des problèmes de peau et des lésions aux pieds: elle lui fournit pansements et crème topique, organise des rendez-vous avec un médecin généraliste et l'invite à prendre une douche au CSSS [1]. Les intervenants de l'Equipe-Itinérance sont inquiets pour Nicole, car elle dort dehors et fréquente des milieux à majorité masculine. Ces comportements peuvent constituer une menace pour sa sécurité, car les femmes itinérantes vivant dans la rue sont souvent victimes d'assauts (Roll, Toro et Ortola, 1999). De plus, elle consomme des drogues intraveineuses pour se faire des amis. Malgré tout, au fil des rencontres, un lien de confiance se crée entre Nicole et l'infirmière: il est alors plus facile pour cette dernière d'aborder des questions relatives à la santé mentale de sa cliente. Nicole accepte de signer une autorisation pour que le CSSS obtienne une copie de son dossier psychiatrique, mais refuse toujours de rencontrer la psychiatre de l'équipe. Après plusieurs mois de vie dans la rue, elle accepte de résider dans une ressource d'hébergement transitoire où elle paie une pension et où elle peut se reposer pendant la journée. Depuis, elle ne se rend plus au CSSS, mais téléphone régulièrement à l'infirmière ou à la travailleuse sociale, et les intervenantes de la ressource d'hébergement communiquent elles aussi avec l'infirmière.

L'infirmière constate que, depuis qu'elle bénéficie d'un hébergement, Nicole présente moins de symptômes psychotiques, dort et mange mieux, est moins fatiguée et se sent davantage en sécurité. Pour l'infirmière, il s'agit d'une étape importante et elle essaie de travailler avec l'organisme communautaire afin de bâtir un plan d'intervention commun visant à éviter le retour de Nicole à la rue. L'infirmière offre du soutien aux intervenantes ainsi qu'à Nicole à qui elle dispense des conseils sur sa médication. Si jamais la ressource met fin à cet hébergement, l'infirmière ne culpabilisera pas les intervenantes, mais verra plutôt s'il est possible d'entrevoir une réadmission ultérieurement, si la situation de la cliente évolue.

Cette histoire montre comment les interventions de l'infirmière prennent en compte et respectent les choix de la personne itinérante en portant une attention discrète à ses symptômes psychiatriques. La continuité et la confiance dans le lien établi avec cette personne sont centrales et constituent un levier de l'intervention.

  • [1] Les locaux de l'équipe itinérance du CSSS Jeanne-Mance sont équipés d'une douche destinée à la clientèle.
 
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