Les liens avec l'économie locale et la pauvreté en région
Nous avons recensé les études réalisées au Canada entre 1999 et 2003 sur l'instabilité résidentielle et l'itinérance en milieu rural. Dans les sections qui suivent, il sera question de ces études (Callaghan, 1999; Carie et Bélanger- Dion, 2003; Roy, Hurtubise et Rozier, 2003; Tassé, 2003; Transitions, 2003; Visionlink Consulting, 2002).
La majorité des études sur l'instabilité résidentielle en région lient le phénomène observé à l'économie locale. Cette observation a été également laite pour le territoire des Laurentides. Depuis plusieurs années déjà, l'économie de plusieurs régions est déclinante: les régions sont souvent désertées par les grandes entreprises, il y a de moins en moins de développement des ressources premières et on assiste au déclin des entreprises manufacturières. On retrouve alors un marché de l'emploi souvent incompatible avec la faible scolarité des personnes qui n'ont pas quitté la région. Plusieurs régions se tournent alors vers une industrie récréotouristique qui, certes, génère des emplois, mais des emplois non qualifiés, peu rémunérés, à temps partiel, sans permanence ou sécurité d'emploi. On note donc, en région, la présence de personnes aptes et prêtes à travailler, mais installées dans des conditions engendrant de la vulnérabilité et de la fragilité pour une partie importante de la population.
Toutes les études consultées font le lien entre l'itinérance en milieu rural et la pauvreté en région. Depuis plusieurs années, les économies régionales se modifient de façon considérable: économies défaillantes, économies vieillissantes, nouvelles économies basées sur l'emploi précaire, notamment dans les zones récréotouristiques. Partout on parle d'un accroissement quantitatif des personnes touchées par la pauvreté et d'une diversification de celles-ci. Les femmes en général, et particulièrement les femmes chefs de famille monoparentale, sont plus présentes que jamais dans les statistiques se rapportant aux personnes à très grand risque de se trouver à la rue ainsi qu'aux jeunes célibataires et aux aînés.
Les services et leurs accès
Il semble que l'ensemble des territoires ruraux concernés par les recherches soient caractérisés par une faible présence de services dits "dédiés" aux personnes itinérantes ou sans domicile fixe: peu ou pas de ressources d'hébergement d'urgence, peu ou pas de politiques (municipales ou autres) favorisant le logement social, le contrôle du prix des logements ou l'amélioration du parc de logements existants. La plupart des études font état de moyens limités face aux situations d'urgence et de dépannage.
C'est ainsi que le ticket d'autobus vers un centre urbain disposant de plus grandes ressources reste un moyen privilégié d'intervention en région. Il peut parfois être accompagné d'une nuit au motel local et d'un souper au restaurant. Ces services de dépannage d'urgence sont souvent informels et généralement payés par le curé, le service de police local ou par un fonds local prévu à cette fin. Cette forme d'intervention entretient l'invisibilité du phénomène et contribue à la détérioration des liens sociaux et d'appartenance à la région.
Le réseau naturel, s'il est toujours existant, est généralement le premier sollicité en situation d'urgence, mais, plus la personne est ancrée dans le processus de désinsertion sociale, pour reprendre les termes de De Gaulejac et Taboada Leonetti (1994), plus ses liens avec ce réseau sont faibles.
L'ampleur du phénomène chez les personnes âgées, les jeunes et les familles
Si, dans les centres urbains, on note une prévalence d'hommes, de problèmes liés à la santé mentale, à la toxicomanie et à la santé physique, il semble qu'il en soit tout autrement en milieu rural où plusieurs facteurs placeraient les femmes en position plus vulnérable.
Les études réalisées en milieu rural au Canada mettent davantage l'accent sur la précarité des familles et des groupes spécifiques: jeunes adultes sortant de milieux de protection, personnes souffrant de fragilité sur le plan de la santé mentale, personnes âgées et, principalement, groupes qui n'ont pas accès à un logement sain, abordable et, donc, à des conditions de vie favorisant un sain épanouissement.
Les recherches font état d'une anticipation, de la part des intervenants, d'un accroissement important de ces populations pour les années à venir. Cela est particulièrement vrai pour les aînés, qui arrivent de plus en plus difficilement à supporter les coûts liés à l'entretien de leurs résidences et à vivre convenablement. Cette situation semble être également préoccupante pour les jeunes adultes. Il semble, selon les intervenants rencontrés, que beaucoup de jeunes soient engagés dans un processus de "désinsertion" dans les Laurentides. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre, comme nous l'avons mentionné précédemment, afin qu'ils n'aboutissent pas à la rue et, ultimement, dans la rue à Montréal; cela apparaît dans le discours des jeunes rencontrés non pas comme un symbole de liberté mais plutôt comme l'issue ultime d'un long processus de désaffiliation. Selon certains intervenants, le lien est évident entre les conditions de vie des jeunes et la précarité des emplois disponibles dans la région. Il faut également mentionner le taux particulièrement élevé de décrochage scolaire dans la région (36,8 % comparativement à 24,9 % à l'échelle provinciale) (Institut de la statistique du Québec, 2004), les conditions de grande pauvreté d'une partie de plus en plus importante de la population, les sorties sans soutien des structures d'accueil jeunesse ainsi que les ruptures familiales qui semblent centrales dans le discours des jeunes interviewés dans le cadre de notre recherche. Les intervenants soulignent la difficulté, voire l'incapacité des ressources du territoire à répondre aux demandes de dépannage. Les statistiques obtenues des deux maisons d'hébergement accueillant les personnes itinérantes du territoire révélaient qu'elles étaient en mesure de répondre à 50 % des demandes, les autres personnes étant envoyées par autobus à Montréal. De plus, il apparaît extrêmement difficile pour ces jeunes d'établir leur crédibilité et leur compétence. Ces jeunes se voient continuellement refuser l'accès au réseau des logements privés.
Les familles sont aussi mentionnées dans toutes les études, plus particulièrement les familles où l'un des deux conjoints ou les deux n'ont accès qu'à un marché précaire de l'emploi. La situation semble plus difficile encore pour les familles monoparentales, très largement dirigées par des femmes, comme nous l'avons mentionné précédemment.
Toutes les études consultées se basent sur des témoignages d'intervenants et sur des données quantitatives, notamment celles de Statistique Canada issues des derniers recensements (1991, 1996 et 2001). En général, elles concluent à l'accroissement continuel des difficultés et à la vulnérabilité croissante de divers groupes liés aux transformations des formes de travail, aux difficultés croissantes d'accès au logement à des coûts raisonnables et adéquats en matière de qualité et d'accessibilité. Ces conditions, additionnées à l'effritement du tissu et des liens sociaux, rendent le terrain propice à l'accroissement des vulnérabilités sociales et laissent peu de marge de manœuvre aux personnes vivant dans la pauvreté.