RECHERCHE SUR LES REPRÉSENTATIONS DE SOI

Notre recherche s'intéresse aux représentations de soi des personnes qui répondent aux deux critères suivants: être sans domicile fixe; recevoir un soutien des ressources du réseau de l'itinérance et de celui de la santé mentale[1]. Cet article se concentre sur les représentations de soi de neuf femmes. C'est donc dire qu'elle est exploratoire et que les résultats ne sauraient être généralisés sans que d'autres études les confirment.

Le modèle du soi de L'Écuyer est multidimensionnel et il est composé de perceptions dont les contenus émergent à la fois de l'expérience personnelle et de l'influence des autres sur ses propres perceptions. Il est aussi hiérarchique, car les contenus s'organisent et se hiérarchisent progressivement en un tout cohérent (voir le tableau 16.1) autour de quelques structures (5) délimitant les grandes régions fondamentales de l'expérience de soi. Chacune d'elles recouvre des portions plus limitées de cette expérience - les sous-structures (9) - se fractionnant à leur tour en un ensemble d'éléments beaucoup plus spécifiques appelés catégories (28) (L'Écuyer, 1994, p. 150). Le soi de ce modèle (contrairement aux études recensées) est structurel, hiérarchique et empirique (basé sur des travaux théoriques et empiriques).

Le tableau 16.1, qui reproduit le modèle de L'Écuyer, nous a servi à éclairer la problématique des représentations de soi chez les femmes itinérantes. À cette fin, nous avons rencontré neuf femmes itinérantes [2] et nous avons, au moyen d'entrevues de type genèse des perceptions de soi (GPS)[3], recueilli les propos de celles-ci au sujet des différents aspects du modèle.

Tableau 16.1

Modèle expérientiel-développemental*

Structures

Sous-structures

Catégories

SOI

MATÉRIEL

SOI SOMATIQUE (Le corps)

- Traits et apparence physiques

- Condition physique et santé

SOI POSSESSIF (Les miens)

- Possession d'objets

- Possession de personnes

SOI

PERSONNEL

IMAGE DE SOI

(Aspects de l'expérience de soi)

- Aspirations

- Enumération d'activités

- Sentiments et émotions

- Goûts et intérêts

- Capacités et aptitudes

- Qualités et défauts

IDENTITÉ DE SOI (Conscience d'être et d'exister)

- Dénominations simples

- Rôles et statuts

- Consistance

- Idéologie

- Identité abstraite

SOI

ADAPTATIF

VALEUR DE SOI (Jugements sur soi)

- Compétence

- Valeur personnelle

ACTIVITÉS DU SOI (Actions pour protéger le soi)

- Stratégie d'adaptation

- Autonomie

- Ambivalence

- Dépendance

- Actualisation

- Style de vie

SOI

SOCIAL

PRÉOCCUPATIONS ET ATTITUDES SOCIALES (Participation)

- Réceptivité

- Domination

- Altruisme

RÉFÉRENCE À LA SEXUALITÉ

- Référence simple

- Attrait et expérience sexuels

SOI NON-SOI

RÉFÉRENCE À L'AUTRE OPINION DES AUTRES SUR SOI

* Adapté de R. L'Écuyer (1994). Le développement du concept de soi de l'enfance à la vieillesse, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, p. 50.

Le profil individuel des femmes interviewées est le suivant: sept participantes sont francophones et deux sont anglophones. Deux participantes ont obtenu un certificat d'études, alors que six autres n'ont pas obtenu leur diplôme secondaire. Une neuvième participante a terminé une 6e année primaire. Huit participantes sont célibataires et la neuvième vit en union de fait. Parmi les neuf participantes, une seule a travaillé au cours des deux dernières années, les autres recevant des prestations du ministère du Revenu. Enfin, cinq participantes sont mères d'au moins un enfant, dont elles avaient perdu la garde; une sixième était enceinte au moment de l'entrevue. L'entrée dans la rue peut se faire à des âges différents: deux participantes y sont arrivées très jeunes (11 et 13 ans), cinq participantes avaient entre 17 et 19 ans; les deux dernières avaient respectivement 42 et 50 ans. Sept participantes ont connu un placement dans au moins une institution publique durant leur enfance et leur adolescence. Trois participantes font de la prostitution et quatre autres consomment des drogues illicites; l'une en fait le trafic.

  • [1] En plus du statut de sans-abri, l'échantillon de convenance (non aléatoire) devait répondre à deux autres critères: fréquentation au moins une fois d'une ressource pour itinérants durant le dernier mois et fréquentation au moins une fois d'une ressource de santé mentale durant les trois derniers mois. Ces deux critères indiquent que l'échantillon reçoit ou a reçu un soutien pour répondre à ses besoins de base et à ses difficultés psychologiques ou psychiatriques. Malheureusement, nous n'avons pu recueillir des données plus précises sur le type de difficultés psychologiques ou psychiatriques des 122 participants. En effet, ceux-ci ont mentionné 39 lieux de consultation, dont 11 à l'extérieur deMontréal (hôpitaux, cliniques médicales, centre local de services communautaires, cabinets privés, etc. ). Ces difficultés d'accès aux dossiers ont permis la collecte de données pour seulement six des neuf participantes interviewées. Les diagnostics sont les suivants: a) trouble de l'humeur et dépression majeure; b) schizophrénie et troubles d'adaptation; c) intoxication (2); d) paranoïa et trouble borderline sévère; e) sans diagnostic.
  • [2] Cette étude se divise en deux parties. Dans une première, elle élabore un modèle de prédiction du concept de soi. À cette fin, 122 participants (34 femmes et 78 hommes) ont été rencontrés et ont répondu à des questionnaires semi-structurés. Le nombre de femmes (29 %) correspond à la proportion mentionnée dans les études épidémiologiques (de 13 à 29%) (Fournier et Mercier, 1996). La deuxième partie, qualitative, vise à connaître les représentations par les personnes de leur expérience. À cette fin, nous avons constitué un sous-échantillon de 33 participants répartis proportionnellement selon les femmes et les hommes de l'échantillon global: 9 femmes et 24 hommes. Ce sous- échantillon pour les entrevues qualitatives a été choisi au hasard parmi les participants selon le sexe. Même si le nombre de participantes est restreint, il nous a semblé important de distinguer les résultats selon le sexe. Les travaux de L'Ècuyer ont en effet montré que le sexe était une variable influençant les représentations de soi dans une population normale. Il était d'autant plus important de faire cette distinction que la recherche s'inspire du modèle de L'Ècuyer.
  • [3] Après avoir expliqué l'entrevue, l'intervieweur pose la question Qui êtes-vous? S'ensuit une description spontanée d'elle-même faite par la personne. Dans un deuxième temps, l'intervieweur demande à la personne de choisir parmi les éléments descriptifs énumérés celui qui est le plus important pour elle. Enfin, dans un troisième temps, l'intervieweur reprend chaque sous-structure et rappelle les catégories qui la composent. Après chaque énumération des catégories d'une sous-structure, il demande à la personne de parler de ces catégories par rapport à elle-même. Les entrevues durent en moyenne une heure. Après avoir été retranscrites intégralement, elles ont été analysées à l'aide du logiciel NVivo. La codification est constituée des 28 catégories du modèle expérientiel développemental, dont la définition des catégories a été respectée.
 
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